L’inégalité d’accès aux milieux d’accueil de l’enfance (épinglé)

Mais, au fond, les quelques années avant l’école sont-elles si importantes ? Au-delà de la nécessité de garde, l’accueil des tout-petits est-il favorable au développement de l’enfant?

La crèche, ça sert à quoi ?!

En d’autres mots, les crèches, ça sert à quoi ? Quelle est la place des lieux d’accueil dans notre société actuelle ?… c’est la question posée par Michel Vandenbroeck et Perrine Humblet dans leur contribution à l’ouvrage « Repenser l’éducation des jeunes enfants »[1]. A partir d’un rapide retour sur l’histoire du  » care », ils montrent combien le prendre soin des jeunes enfants ou l’éducation préscolaire est une construction à la fois historique, politique et sociale. Les milieux d’accueil répondent à des problèmes sociaux d’une part, mais contribuent aussi d’autre part à les individualiser, les « pédagogiser ». L’éclairage, réalisé à partir de trois périodes différentes de l’histoire (fin 19ème-début 20ème, fin des années septante et aujourd’hui), permet de mieux comprendre de quoi est « pétri » le concept de « milieu d’accueil » : ses origines, ses racines, et les enjeux actuels qui en découlent.

L’enfant comme être fragile

Tout d’abord, petit retour fin du 19ème : les premières garderies pour très jeunes enfants sont devenues une nécessité sociale. « Lieu de gardiennage destiné aux mères ouvrières, les crèches prennent la forme de lieux de transition vers l’école gardienne et primaire où libéraux et catholiques rivalisent pour influencer la population ouvrière ». Rapidement séparée de l’éducation, le rôle des crèches s’oriente nettement, dès 1885, vers une fonction de protection sanitaire de l’enfant du premier âge avec un accent mis sur la puériculture et l’hygiène. Et ce, dans un esprit de contrôle des classes laborieuses, dites « dangereuses ». Début du 20ème siècle, l’invention des statistiques aidant, le problème de mortalité infantile est mis en évidence, surtout dans les couches populaires (découverte d’un « effrayant pourcentage », en réalité stable depuis le 19ème siècle). Et loin d’être attribuée aux conditions de vie misérables des familles ou aux salaires dérisoires dans les usines, elle est présentée comme le résultat de l’incompétence des mères ! (« Il est indispensable de faire connaître d’une manière plus efficace les principes de la puériculture aux mères négligentes qui s’abstiennent de lire les brochures qu’on leur distribue. »). L’éducation des mères pauvres devient alors la priorité de l’Oeuvre nationale de l’enfance, et s’appuie sur une représentation de l’enfant comme être fragile à protéger, en devenir et dépendant de la responsabilité des adultes.[2] Ensemble, les crèches et à leur suite, les consultations de nourrissons [3] forment une « machine » (Deleuze, 1985) ou une « technique », c’est-à-dire un ensemble de stratégies, de réseaux et de mécanismes par lesquels une décision est généralement acceptée et comprise comme la seule décision possible (Foucault, 1990). Mais, vers la fin des années 70, le monde change ! La mortalité infantile diminue, la participation des femmes au marché du travail augmente, notamment par la nécessité de main d’œuvre, et enfin la société postindustrielle met l’accent, non plus sur l’état physique des populations, mais plutôt sur le capital intellectuel. D’où la construction d’un nouveau problème social à partir d’un phénomène social réel : l’échec scolaire des couches populaires. Et une attention toute particulière dédiée dorénavant à l’éducation. Dans ce virage, les lieux d’accueil revêtent alors un double attrait : elles offrent une garde acceptable lorsque la mère travaille, mais elles peuvent aussi compenser l’éducation déficitaire des enfants issus des couches populaires. Toutefois, les responsables de l’ONE estiment l’âge en-dessous de 3 ans comme « pré-pédagogique » et ce sont donc les psychologues qui compensent l’éducation déficitaire et non des enseignants.

La société évolue, et les milieux d’accueil ?

Aujourd’hui, le chômage est devenu le problème social n°1 ainsi que d’autres formes de dysfonctionnements de la cohésion sociale comme la délinquance juvénile. Sous la devise « pas de droits sans devoirs », des acquis de l’état providence sont remis en questions et les prestations ne vont plus de soi, mais sont des « faveurs » qui entraînent de nouvelles obligations de la part du citoyen responsable. L’Etat investit dans la prévention dans le but de réduire les coûts dans l’avenir. Et l’individu autonome et indépendant gère sa vie comme une entreprise, en investissant entre autres dans l’éducation tout au long de sa vie. Face à ce nouveau contexte de société, les milieux d’accueil de la petite enfance sont peu adaptés, voir notre article « L’inégalité d’accès aux milieux d’accueil de l’enfance, ça suffit ! (familles sans double revenu ou sans revenu du tout, familles d’origine étrangère… face à un fonctionnement basé sur des familles à double revenu). [4]. A travers l’histoire, on remarque que les lieux d’accueil ont souvent été construits comme résiduels : à problèmes et publics spécifiques, des services spécifiques. L’exclusion de certaines parties de la population des lieux d’accueil légitime la construction de nouveaux centres, qui exigent la définition de publics ciblés, qui à leur tour n’échappent pas à la stigmatisation. « Il n’y a pas d’inclusion possible sans exclusion », selon le théoricien américain Popkewitz. Les chercheurs de l’article mettent cependant les professionnels de la petite enfance en garde : ils ont grand intérêt selon eux à réfléchir leur place dans la société. Afin d’éviter toute nouvelle instrumentalisation des lieux d’accueil comme réponse à un nouveau problème social. Et ne pas devenir des techniciens du développement ou du soutien à la parentalité plutôt que des professionnels… tout simplement bien formés. Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl, 24/4/13 LIRE AUSSI : « La formation des accueillantes des milieux d’accueil de l’enfance par le biais du tutorat », par Bernard De Backer, Fédération des institutions médico-sociales (FIMS asbl), mai 2004. « Comme en témoigne l’exposé des motifs du Code de qualité de l’accueil, le secteur des Milieux d’Accueil de l’Enfance (MAE) est caractérisé par sa multiplicité et sa diversité « .

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