A la peur et au sécuritaire, opposons une éthique de la solidarité et l’hospitalité !

Le CBCS rejoint des associations d’origine diverses pour prendre la parole à propos du climat délétère qui se développe et s’amplifie à Bruxelles. Si la parole est largement réservée aux élus et experts en tous genres, les acteurs de terrain estiment que les arguments de la société civile bruxelloise doivent aussi être entendus.


La commune de Molenbeek et sa population sont sous les projecteurs depuis bientôt deux ans. Ce « quartier » de Bruxelles serait devenu un « repère du djihadisme islamiste » en Europe. Nous souhaitons, à rebours des opinions et analyses qui soutiennent cette lecture, sortir du stigmate collé à ce lieu et à ses habitants et qui occulte la persistance de problèmes sociétaux très profonds dont les déterminants ne sont pas à chercher, loin s’en faut, dans le périmètre considéré. Si la question du radicalisme nous préoccupe tous, cela ne doit pas nous conduire à confondre un des symptômes avec le fond des problèmes.

Si la sécurité publique a pu, dans certains cas et pour un temps, justifier l’adoption de certaines mesures (pas nécessairement toutes), celles-ci ne peuvent s’inscrire dans la durée. Cependant, même dans ce contexte, les instances gouvernementales se doivent de respecter les finalités professionnelles des travailleurs et acteurs sociaux qui œuvrent auprès des populations en proie à des difficultés de toutes sortes. Ces travailleurs et acteurs sociaux s’adressent à leurs publics à partir de ce qu’ils peuvent devenir et de ce qu’ils peuvent construire avec eux (tenant compte des moyens disponibles) et non à partir d’une approche basée sur le soupçon qui verrait d’abord et avant tout en chacun une menace pour la société.

Amalgames, raccourcis et stigmatisation

Dès à présent, le « Plan Canal-Belfi » établi par les ministres de l’Intérieur et de la Justice atteint sa vitesse de croisière. Ainsi, l’ensemble des asbl des communes dudit plan – puis de toute la Région bruxelloise et même au-delà – [1] vont être contrôlées par la police, sous couvert de prévention du « radicalisme violent » et du « terrorisme ». L’adoption de ce Plan et sa mise en œuvre constitue un moyen d’intimidation à large spectre qui élève la peur et la stigmatisation en mode de gestion publique. Nous refusons et dénonçons cette dérive. En effet, la mise en œuvre de ces mesures autorise tous les amalgames [2], notamment lorsque le Fédéral s’attaque dans ce sillage à la « fraude sociale ».

Amalgames, raccourcis et stigmatisation, encore : on fait passer les associations, dans leur ensemble, comme acteurs d’un monde échappant au contrôle, qui n’auraient de compte à rendre qu’à eux- mêmes. C’est profondément injuste et erroné. Les asbl subventionnées par les pouvoirs publics répondent aux préceptes de la législation sur les asbl d’une part, aux obligations et procédures établies ensuite par les pouvoirs publics que sont les Régions, Communautés et Communes, mais aussi du Fédéral, d’autre part. Si les acteurs de la société civile bruxelloise ont été horrifiés par les attentats terroristes de Paris et Bruxelles, ils rejettent fermement les discours, tenus au plus haut niveau du pays, qui se permettent raccourcis et contre-vérités quant à leur travail lançant, à travers le contrôle des associations, un véritable « grand nettoyage » d’un pan entier de notre société. Cette criminalisation de la société civile doit cesser !

Par ailleurs, ces mesures ne doivent pas être isolées d’autres, votées presque en même temps. Sur sa lancée, le gouvernement, ouvrant la boîte de Pandore, aligne les mesures suivantes :

  1. Loi du 9 février du Secrétaire d’Etat à l’asile et la migration M. Francken, qui permettra d’expulser des étrangers sans procès et en ordre de séjour, pour n’être que soupçonnés de « trouble à l’ordre public » ;
  2. Loi récente sur l’abrogation du secret professionnel dans les CPAS au regard de présomptions de « terrorisme » auxquels seront confrontés les assistants sociaux – avant que la mesure ne soit étendue à l’ensemble des acteurs associatifs ?

L’Etat de droit foulé au pied

Liberté et autonomie associative, secret et déontologie professionnels [3], droits des étrangers, présomption d’innocence, procédures judiciaires équitables, respect de la vie privée (suite à la multiplication de la vidéosurveillance dans certains quartiers), autant de principes de l’Etat de droit foulés aux pieds ! Or, de la somme de ces lois, en aucun cas on ne fait un projet de société !

Nous insistons : il ne s’agit pas ici de l’exercice d’auto-défense d’un secteur. Nous refusons au contraire le jeu cynique dans lequel nos organisations sont placées qui conduira, à terme, à opposer des groupes et des secteurs de la société entre eux comme cela se produit dans plusieurs pays européens. Alors que, dans le même temps, l’argument du « vivre ensemble » et de la « cohésion sociale » est brandi en permanence … Or, les associations sont, depuis des décennies, un des garants de la vitalité démocratique, un contre-pouvoir nécessaire qui permet souvent, au-delà du travail quotidien d’aide ou d’accompagnement social de personnes plus fragiles, d’être (avec d’autres) le porte-voix des aspirations collectives à la justice, l’égalité des droits et (re-)construction de solidarités collectives et de liens sociaux. Autant d’enjeux particulièrement fragilisés en ces temps de crises successives qui produisent angoisses, haine et rejets de tout poil.

Brandir l’éthique associative

A ce climat délétère, auquel participent des responsables gouvernementaux, nous voulons opposer une éthique associative qui donne aux valeurs d’hospitalité, d’égalité, de solidarité, de liberté et aux notions de respect et de dialogue toute la place qui leur revient dans une société démocratique. Réaffirmons la liberté associative, vecteur d’émancipation, en contrepied des logiques sécuritaires, commerciales4 et des intérêts égoïstes.

Enfin, nous invitons les citoyens qui, inquiets dans ce climat particulièrement anxiogène, ne connaissent pas suffisamment les associations de leur commune ou quartier, à en franchir les portes pour s’enquérir de leurs projets, mais aussi de leurs difficultés autant que de leur désir de changement pour faire ensemble le pari de la solidarité, tournant le dos aux peurs et aux replis qui menacent.

Signataires (04/2017) :

  1. Lire et Ecrire Bruxelles
  2. L’Oranger AMO
  3. Maison du Peuple d’Europe
  4. La Rue
  5. MRAX
  6. La Maison du Livre (St-Gilles)
  7. Kiosque (CIDJ)
  8. Le Foyer
  9. Valérie Servais (Coordination communale de cohésion sociale d’Etterbeek)
  10. Myriem Amrani et Alain Willaert (présidente et vice-président de la section « Cohésion sociale » du Conseil consultatif bruxellois francophone de l’aide aux personnes et de la santé – COCOF)
  11. Dynamo AMO et Dynamo International
  12. Fédération laïque de l’Aide à la Jeunesse
  13. Traces de rue (Fédération francophone des travailleurs sociaux de rue)
  14. Plan J AMO (Ouest B-W)
  15. MagMA
  16. Commission Justice & Paix
  17. BePAX
  18. Collectifs d’écrits
  19. TCC accueil AMO
  20. Zinneke ASBL
  21. La Porte Verte-Snijboontje
  22. Maison de Quartier St-Antoine (Forest)
  23. Le SAS Evere (SSM)
  24. Formation Insertion Jeunes (FIJ)
  25. D’ici et d’ailleurs (SSM)
  26. Service droits des Jeunes de Bruxelles
  27. Le Toucan AMO
  28. Conseil bruxellois de coordination sociopolitique ASBL
  29. La Cité des écrits
  30. Espace social Télé-Services
  31. SETIS
  32. Véronique Marissal (coordinatrice de la Coordination des écoles des devoirs de Bruxelles)
  33. Union des progressistes Juifs de Belgique
  34. Présence et Action culturelle
  35. Mission locale de Molenbeek
  36. Centre Avec
  37. Centre de formation Cardijn
  38. SHARE-Forum des migrants
  39. Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI)
  40. Inter-environnement Bruxelles
  41. Smoners (Centre de médiation culturel de quartier)
  42. Transit ASBL
  43. MOC Bruxelles
  44. Solidarité Savoir ASBL
  45. Paul Delmotte, Prof. retraité de l’IHECS
  46. La Fonderie ASBL
  47. Atouts Jeunes AMO

Cette carte blanche a originellement été publiée sur le site Internet Le Soir+, en accès libre, le 06 avril 2017.

À lire également

Restez en
contact avec
nous

Si vous rencontrez des difficultés à nous joindre par téléphone, n’hésitez pas à nous laisser un message via ce formulaire

Je souhaites contacter directement :

Faites une recherche sur le site

Inscrivez vous à notre Newsletter

Soyez averti des nouveaux articles