L’évaluation des pratiques sociales et institutionnelles : interpellations !

Relevé des interpellations adressées aux différents niveaux de l’action sociale, élaborées par des intervenants sociaux au sens large, dans le cadre d’une matinée d’étude co-organisée par les sections Assistants sociaux de l’Institut Cardijn, du département social de Namur et le Master en Ingénierie et Actions Sociales Louvain-La-Neuve/Namur (14/11/2013).

Origine des interpellations

La matinée d’étude [1] a favorisé un temps de réflexion et d’échange dans 7 ateliers comprenant une vingtaine de participants de tous horizons et de tous niveaux de l’action sociale. Chaque atelier disposait d’un secrétaire qui a pris note de l’ensemble des interventions des participants. Les revendications développées ci-dessous sont donc issues d’un travail d’analyse transversale et de synthèse de la parole des acteurs de terrain directement concernés par l’évaluation des pratiques sociales et institutionnelles. Elles sont donc ancrées dans une réalité de terrain et soutenues par plus d’une centaine de professionnels de tous secteurs.

Tous concernés par ces revendications

Comme on le sait, l’évaluation des pratiques sociales et institutionnelles est une question d’une extrême sensibilité dans la mesure où elle interroge les objectifs et les finalités de ces pratiques. Or, l’action sociale est mise en œuvre à travers l’interaction d’une diversité d’acteurs à différents niveaux de l’intervention sociale qui sont chacun porteurs d’enjeux qui leur sont propres et qui peuvent parfois rentrer en conflit. Les tensions diagnostiquées autour des pratiques d’évaluation sont dès lors bien compréhensibles. Mais il est important de les prendre au sérieux afin qu’elles ne génèrent pas des rapports de pouvoir paralysants et des effets contre-productifs. Il s’agit dès lors de favoriser une meilleure communication, intercompréhension et harmonisation entre les différents niveaux. Un travail de concertation approfondi permet de comprendre les enjeux de chacun et de se mettre à la place des autres. Il s’agit à la fois de comprendre les intérêts de chacun mais également de faire corps et de mettre en place des dispositifs d’action sociale cohérents. La nécessité de la concertation est d’ailleurs devenue une exigence de plus en plus forte dans un contexte de décloisonnement croissant entre les différents niveaux et secteurs de l’action sociale.

Les différents acteurs auxquels sont adressées ces revendications sont les suivants :

  • Le niveau politique ;
  • Les opérateurs de formation ;
  • Les fédérations représentant les différents secteurs ;
  • Les professionnels : travailleurs sociaux et responsables des institutions.

L’évaluation des pratiques sociales et institutionnelles doit être réfléchie en articulant tous les niveaux de l’action sociale en même temps. On ne peut pas réfléchir l’évaluation en cloisonnant ces différents niveaux d’intervention. Pour insister sur le fait que l’évaluation est l’affaire de tous et pour éviter de pointer du doigt un seul responsable, nous indiquons une série de revendications adressées à chacun des niveaux. Il est important d’avoir une vision d’ensemble et de considérer que l’amélioration des pratiques d’évaluation doit se faire à tous les niveaux, sans quoi les efforts fournis pourraient être soldés par des résultats décevants.

Les revendications développées ci-dessous sont des interpellations d’ordre général qui doivent être éventuellement récupérées et adaptées en fonction des secteurs et des niveaux de l’action sociale. Il nous semble important que les différents acteurs qui se reconnaissent dans ces revendications se les approprient et les fassent évoluer afin qu’elles correspondent aux enjeux qui sont les leurs.

Interpellations aux politiques : Transparence, pertinence et financement

Transparence

Il est attendu une plus grande transparence dans la définition des objectifs politiques, des critères d’évaluation, de l’utilisation qui est faite des résultats de l’évaluation… Cette transparence doit devenir une règle tout au long de la mise en oeuvre des dispositifs d’action sociale et de leur évaluation. Il est important que la communication et la concertation s’établissent tout au long du processus afin d’éviter les malentendus et afin d’emporter l’adhésion des différents protagonistes concernés par ces évaluations. En amont de l’évaluation, on insiste sur l’importance de la dimension participative et de la co-construction des outils d’évaluation avec l’ensemble des acteurs concernés. En aval de l’évaluation, on appelle à l’amélioration du suivi concernant l’usage des résultats afin d’en faire un réel moteur pour l’action. Afin de limiter les tensions liées aux rapports de force existant entre les différents acteurs porteurs d’enjeux différents, il est important que chaque protagoniste puisse exprimer ses prérogatives et ses limites et donner sa vision de l’évaluation.

Pertinence

La concertation et l’harmonisation seront au service d’une plus grande pertinence des dispositifs d’évaluation mis en place. Il a été relevé divers phénomènes potentiellement contre-productifs à tous les niveaux de l’action sociale. La question des temporalités autour de l’évaluation est particulièrement sensible : le temps de l’évaluation politique est loin de correspondre aux temporalités de l’action sociale. La question de la diversité des modalités et critères d’évaluation d’un secteur de subventionnement à l’autre est également problématique. Ces modalités et critères sont au mieux complémentaires, au pire contradictoires. Cela est particulièrement difficile pour les organismes polysubventionnés. Il s’agit également d’améliorer l’adéquation entre les objectifs de l’évaluation et la réalité de ce qui est évalué. Il y a un sentiment large de décalage entre les exigences de l’évaluation et les réalités de terrain. Il est proposé que le niveau politique soit également évalué, notamment concernant l’adéquation des politiques au terrain et concernant le projet de société qui sous-tend les dispositifs mis en oeuvre.

Financement

Les évaluations exigées nécessitent beaucoup de temps et de moyens. L’évaluation est un processus qui prend du temps, qui implique du travail administratif, qui réduit d’autant le temps consacré à l’action (ce qui est un paradoxe). Il est attendu que les demandes d’évaluation soient financées ou qu’on en réduise les exigences, le rythme, la quantité, la pluralité. Il serait à cet égard intéressant de désamorcer en partie la tendance forte à favoriser la logique du projet pour revenir à une logique institutionnelle garantissant une certaine stabilité de l’action dans le temps.

Aux opérateurs de formation : Sensibilisation, formation et engagement politique

Sensibilisation

Il est important de promouvoir le plus largement possible une culture de l’évaluation dans le monde de l’intervention sociale. Dès la formation des futurs professionnels, il s’agit d’insister sur le fait que l’évaluation fait partie de la pratique, qu’elle se déploie dès le début de la conception de toute intervention, qu’elle soit sur le plan personnel ou en équipe, au niveau de l’organisme, du service ou dans les relations avec les pourvoyeurs de fonds. Il est essentiel d’insister sur l’utilité de l’évaluation, sur le fait qu’il s’agit d’un outil incontournable du travail social. Il est également indispensable de démystifier l’évaluation et de rendre ses méthodes et outils accessibles. Il est important de construire une vision professionnelle positive et constructive de l’évaluation et de transmettre ce message aux étudiants.

Formation

Face au constat que les praticiens ne maîtrisent pas toujours les codes et les méthodes de l’évaluation, il serait opportun d’axer davantage la formation sur les pratiques d’évaluation, non seulement en interne, mais également sur le cadre légal et les réalités des évaluations exigées par les pouvoirs publics. A cet égard, il est particulièrement attendu de développer des formations sur l’évaluation participative, modalité d’évaluation communément considérée comme pertinente mais dont les tenants et aboutissants ne sont pas toujours clairement maîtrisés et dont les difficultés et limites ne sont pas toujours mises en lumière. Il est également souhaité de former tant aux techniques quantitatives qu’aux méthodes qualitatives d’évaluation et à leurs implications.

Rôle politique des Écoles

Comme les autres acteurs, les opérateurs de formation, et particulièrement les Écoles proposant les formations initiales en travail social, ont un rôle politique majeur à jouer. Il est attendu de ces Écoles qu’elles prennent position par rapport aux attentes politiques, qu’elles participent au débat public sur ces questions et enjeux de grande importance et qu’elles fassent connaître leurs revendications. Il est également attendu qu’elles forment les futurs travailleurs sociaux à assumer cette dimension militante de leur rôle.

Aux fédérations

Communication-interpellation

Il est attendu des fédérations représentant les différents secteurs qu’elles questionnent les pouvoirs subsidiants sur leurs objectifs d’évaluation et les outils de mesure utilisés et qu’elles prennent position par rapport à eux. Il s’agit aussi de valoriser les secteurs et de rendre visible le travail qui y est fait. On insiste sur le rôle militant des fédérations qui ne serait pas suffisamment développé. Il s’agit d’être alerte par rapport aux évolutions rapides des attentes politiques mais aussi des réalités de terrain. Elles doivent fonctionner comme garde-fous. Il s’agit d’être davantage branché sur le terrain et de relayer les réalités et les attentes au niveau politique.

Aux travailleurs sociaux : Sensibilisation, formation et action

Sensibilisation

Il est attendu des professionnels qu’ils intègrent progressivement une culture de l’évaluation afin que celle-ci fasse partie intégrante de leur pratique. Il est important d’insister sur l’utilité de l’évaluation, sur le fait qu’il s’agit d’un outil incontournable du travail social. Il existe des dispositifs d’accompagnement à l’évaluation qu’il faut mobiliser.

Formation

La construction d’une culture de l’évaluation passe par la formation. Il est attendu des praticiens qu’ils se forment à l’évaluation. Il s’agit de favoriser les échanges sur l’évaluation, les bonnes pratiques, les expériences de chacun, les partager sur un même territoire ou dans un secteur à travers le développement de réseaux d’échange autour des évaluations.

Action

Il est fait appel à la responsabilité des professionnels eux-mêmes dans l’évolution des pratiques d’évaluation. Loin d’être déterminés par les contraintes institutionnelles qui pèsent sur leur travail quotidien, les praticiens disposent d’une marge de manoeuvre qu’ils doivent mobiliser en développant leur pouvoir d’agir. Il est attendu des praticiens qu’ils endossent le rôle d’acteur politique qui fait partie de leur engagement professionnel. Il s’agit de se reconnecter au rôle militant du secteur social. Ils doivent se réapproprier l’évaluation qui a été trop facilement laissée à d’autres acteurs externes. Les acteurs de terrain ne doivent pas être confinés à un rôle d’exécutant et de facilitateur, ils doivent également contribuer à la construction de la politique. Les revendications des praticiens doivent être accompagnées de propositions alternatives éprouvées en interne. Il est important de sortir des revendications émotives et peu argumentées et de développer des contre-propositions solides qui auraient un poids politique. Le développement du pouvoir d’agir des praticiens favorise indirectement leur reconnaissance et leur professionnalisation. Le déploiement de cette réflexivité et créativité du travail social doit être soutenu politiquement et financièrement.

Pour plus d’infos :
Viviane Ska, coordinatrice pédagogique du Master en Ingénierie et Actions Sociales, LLN/Namur : viviane.ska@helha.be

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