Maison médicale Couleurs Santé : comment travailler entre l’individuel et le collectif ?

C’est en 2010 que Couleurs Santé s’est constituée en asbl dans la commune d’Ixelles. [1] L’équipe de 22 travailleurs s’inscrit dans une approche de proximité de la santé intégrant les soins, la prévention et la promotion de la santé en partenariat avec le réseau local. Dans ce contexte interdisciplinaire, quels sont les défis et les marges de manœuvre pour faire du travail social ? Avec quelle souplesse ? Malen Munoz, assistante sociale, décrit son quotidien. Entre l’accueil des demandes individuelles et le souhait d’espaces de travail communautaires, elle dépeint les tensions actuelles du travail social.

CBCS : En quoi consiste le métier d’assistant social en maison médicale ?


Malen Munoz : Notre spécificité est de travailler dans une approche globale de la personne et de soigner les personnes « socialement ». Nous tentons d’accompagner les personnes dans l’ensemble de leurs problématiques et dans l’accès à leurs droits. En tant que service de première ligne, nous sommes en contact fréquent avec les CPAS, les mutuelles, des juristes, des services de reconnaissance du handicap, … En somme, on interpelle sans arrêt les autres services, et en premier lieu les assistants sociaux des CPAS : « attention, il y a une difficulté toujours non résolue, monsieur n’a toujours pas reçu son RIS ni sa visite pour acter sa demande, madame est endettée et n’est pas en mesure de payer les repas scolaires ! » … Vu la surcharge de travail et la saturation des services, le patient ne trouve pas sa place et les CPAS n’arrivent pas à suivre. Faute de temps, la rencontre avec les assistants sociaux est de plus en plus difficile … On endosse alors un rôle de coordination dans certaines situations problématiques.

CBCS : Un exemple récent ?


Suite à un déménagement, une personne âgée arrive à Ixelles. Invalide, elle ne peut se déplacer pour activer sa domiciliation. J’adresse alors une demande aux services publics pour qu’ils se déplacent. Sa domiciliation prendra plus de 2 mois, son droit de CPAS plus de 3 mois. Au-delà du retard accumulé, les procédures et les démarches à réaliser sont peu compréhensibles pour une personne âgée. Et le problème de précarité reste entier, vu que le montant de sa pension et de son loyer n’est pas en équilibre …

CBCS : Quelles sont les types de problématiques les plus récurrentes ?

Il y a une augmentation de problèmes plurifactoriels : surendettement, santé mentale, … En lien direct avec une augmentation de la précarité, mais aussi un manque de relations sociales, un manque d’écoute, un manque de rapports humains. Même à la banque une personne âgée ne peut plus faire de virements. Les problèmes financiers touchent aussi des travailleurs; des problématiques de reconnaissance de handicap erronée, statut de malade. Parfois, il faut accorder une écoute pour leur permettre de comprendre d’où vient le manquement et tenter d’informer sur certains droits. Mais globalement, il y a une régression des droits sociaux et une complexité des problématiques vécues par les patients. Sans parler du logement ! Dans ce quartier (Chaussée de Boondael, entre l’hôpital d’Ixelles et l’avenue de la Couronne, ndlr), les personnes habitent dans des logements malsains. C’est bien caché, mais lorsque nous allons à domicile, nous découvrons des espaces de vie sans eau chaude, parfois dans des caves, avec des problèmes d’humidité, des contextes allergènes, …

CBCS : Le temps se réifie, la qualité du travail social en pâtit …

Même si le pourcentage de chômage, dans ce quartier ixellois, est moins dramatique qu’ailleurs, nous devons nous adapter à des publics très différents. Et nous constatons des « trous » dans l’aide sociale. Il y a peu de service sociaux de première ligne qui peuvent donner une heure de leur temps pour prendre connaissance du parcours des personnes, comprendre ce qui coince et comment les soutenir. L’accompagnement en maison médicale exige souvent du long terme, et nous devons travailler dans un contexte « d’urgence des patients » alors que le travail social prend du temps. Nous soignons des personnes tant qu’elles sont patientes donc c’est du suivi à long terme. En matinée, je ne prévois pas plus de 2 ou 3 entretiens, sinon cela ne sert à rien ! Même ici en interne, ce choix n’est pas toujours facile à mettre en pratique car on est dans un contexte médical, il ne faut pas oublier qu’un suivi social exige parfois 6 mois de travail social, voire plus.
Si en termes de santé, on peut rapidement prescrire un examen; dans le social, après 2 ou 3 entretiens, la personne ne va pas toujours sortir avec une démarche à entreprendre ! Entre l’approche sociale et la santé, on doit apprendre à parler un langage commun, ce que nous tentons de construire au quotidien.

CBCS : Au vu de la liste d’attente pour s’inscrire à la maison médicale [2], donnez-vous priorité à certains patients socialement plus fragilisés ?


Le principe de la maison médicale se fonde sur une solidarité créée entre personnes biens portantes et personnes malades : on évite de « ghettoïser » le type de patients, dans un sens comme dans l’autre ! (Lire ci-dessous) L’ensemble des paiements au « forfait » -, l’INAMI, par le biais des mutuelles, paie à la maison médicale, tous les mois et par personne abonnée en ordre de mutuelle, une somme fixe appelée le « forfait » – permet à la maison médicale d’organiser les soins pour tous. Cependant, même si on est complet, quand on nous contacte en urgence, on peut décider, en équipe, de faire une exception. A ce jour, la maison médicale le fait plutôt pour des situations médicales. Je pense qu’il y a un travail à faire pour que cela puisse également se faire pour d’autres types de « manques » dans la prise en charge. Nous devrions assurer la fonction d’accueil à tour de rôle pour repérer les demandes rejetées et les recenser.

CBCS : Concrètement, comment prendre en compte les diverses problématiques sociales et de santé ?

Nous travaillons sur base d’une approche globale. Par exemple, si un patient se plaint de mal de dos, on tente d’en comprendre l’origine : un mauvais matelas, manque d’argent pour le changer, etc. Alors, on tente de connaitre ses droits via le CPAS en vue d’améliorer sa santé. On travaille sur tous les déterminants de la santé et donc préventivement aussi sur les aspects communautaires. Mais nous avons trop peu le temps de travailler réellement en amont, à partir par exemple d’un groupe de paroles en santé communautaire, de petits déjeuners, d’ateliers, … On voudrait compléter le système dans lequel on est, mais on est trop souvent amenés à le combler, au final.

CBCS : A Couleurs Santé, l’ambition est d’être « une entreprise sociale et durable » (cf. Rapport d’activités 2018). Comment la traduire au quotidien avec professionnels et patients ?


Au-delà du cliché écologique, avoir des valeurs sociales et démocratiques, un engagement politique. Nous avons mené diverses rencontres citoyennes pour les patients et les personnes du quartier.
Mais cela reste difficile de discuter de la pollution de la ville ou du développement durable avec des patients qui doivent payer des dettes, faire la file pour un colis alimentaire, … Ce sont des thèmes qui restent fort éloignés du quotidien de certaines personnes. Ceci dit, tout se met en place petit à petit, par essai-erreur. Avant, il n’y avait pas de service social dans la Maison médicale. Cela fait maintenant cinq ans que nous tentons de créer des sillons, des chemins vers les autres.

CBCS : En termes de perspectives, que souhaitez-vous améliorer ?

Au-delà de la gestion des problématiques individuelles, je souhaiterais continuer à ouvrir ce rôle spécifique d’assistant social en maison médicale pour le faire évoluer vers du travail social communautaire, en lien avec la santé communautaire et le travail collectif. En lien avec ce que les patients amènent et avec les missions d’une maison médicale : comment évolue-t-on ? Comment créer intelligemment quelque chose AVEC les patients ? Comment mettre en commun leurs difficultés et les rendre plus visibles ? Changer les choses sur le fond ? Aider les personnes à dénoncer, à exiger du changement ? C’est la philosophie à la base des maisons médicales, « faire avec les personnes ». Avec ma collègue psychologue, engagée depuis un an, nous souhaitons animer un groupe de parole mixte et libre d’accès sur base de thèmes qui les concernent.

S. Devlésaver, CBCS asbl, juillet 2019

Réflexion à poursuivre dans les pages du Bruxelles Informations Sociales n°177 : « Politisons le travail social ! » – décembre 2019.

Santé communautaire et mixité des publics

Rue de l’Eté, le rendez-vous est fixé à 8h30 précises, ce vendredi matin, dans le bassin d’une petite piscine d’un centre privé. Les autres baigneuses arrivent, l’ambiance est conviviale. Ce qui les rassemble : elles sont toutes du quartier et fréquentent la maison médicale Couleurs Santé. A une exception près. « Je suis sur liste d’attente depuis 10 mois », précise l’une d’entre elles, mais elle explique combien « venir à cette activité a changé sa vie, psychologiquement et physiquement ! ». Elles sont là parce que « grâce à l’aquagym, pas besoin de séance de kiné ». Mais aussi pour le lien, les rencontres. La plupart d’entre elles sont retraitées. Parallèlement aux offres de soins – médecins généralistes, soins infirmiers, kinés, acupuncture, psychologue, … – La maison médicale propose diverses activités dans le cadre de la santé communautaire : projet de jardin collectif Potajadot, organisation de soirées citoyennes sur la pollution, activités enfants, aquagym, … Installer une vraie mixité sociale et culturelle dans ce type de groupes est cependant loin d’être évident. Geneviève Gyselinx, la professeur d’aquagym et coordinatrice de la maison médicale explique :  » des femmes d’Afrique subsaharienne ne viennent plus au cours d’aquagym du vendredi depuis qu’elles y ont croisé un homme. Elles ont cependant rejoint le cours du mardi après-midi. Certaines fréquentent aussi le café au féminin, les ateliers cuisine, … ». Spécificité du public de la maison médicale Couleur santé : « un certain nombre de personnes ont un niveau intellectuellement élevé tout en étant parfois dans une grande précarité financière », fait remarquer la coordinatrice.

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