Pauvres locataires !

Carte blanche à l’initiative du RBDH et soutenue par un collectif d’associations et de chercheurs universitaires.

Cette carte blanche est également parur dans le quotidien La Libre Belgique

La crise du logement à Bruxelles, on n’en voit pas le bout. La production de logements sociaux piétine, alors que la demande ne cesse d’enfler. La hausse continue des loyers privés réduit à une portion congrue, le nombre de logements accessibles aux ménages pauvres, les contraignant à accepter n’importe quoi pourvu d’être logé. Trouver un logement abordable et décent arrive en tête des préoccupations de nombreux Bruxellois. Une quête devenue de plus en plus difficile, voire impossible, pour les plus pauvres d’entre eux.

Ce constat fait l’unanimité mais on en ignore l’ampleur, faute d’état des lieux précis. Que sait-on exactement des revenus des Bruxellois ? De leurs loyers ? De la qualité de leurs logements ? De la part du budget qu’ils doivent consacrer au loyer et aux charges ?
Notre Région ne dispose pas d’une connaissance globale et précise ; ni sur la pauvreté, ni sur le logement, ni sur les liens, complexes mais manifestes, qui lient logement, pauvreté et exclusion. Pourtant, pour pouvoir combattre un problème, le monde politique doit, au préalable, l’avoir correctement cerné. Si cette connaissance fait aujourd’hui défaut, ce sont notamment les données disponibles et leur qualité, qui sont en cause.

Deux types de sources sont mobilisés pour approcher les revenus et les loyers à Bruxelles : les données administratives et les enquêtes. Elles présentent, toutes deux, leurs faiblesses propres, et ont en commun de très mal prendre en compte les ménages les plus précaires. Bref survol…

Les données administratives, qui servent à connaitre et analyser la distribution des revenus, sont les déclarations d’impôts. Leur principal écueil : près de 20% d’entre-elles ne sont pas prises en compte dans la structure des revenus, car elles renseignent un revenu fiscal égal à zéro. Cela concerne notamment tous les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale, soit plusieurs milliers de ménages pauvres à Bruxelles qui échappent à l’analyse.
Quant aux loyers, ils pourraient être analysés plus finement grâce aux informations contenues dans les baux, qui doivent obligatoirement être enregistrés depuis 2007. Mais aujourd’hui, cette base de données n’est tout simplement pas exploitée à Bruxelles.

Les enquêtes, indispensables compléments aux données administratives, présentent elles aussi leurs limites. On peut parler ici de l’enquête sur le budget des ménages, de l’enquête européenne sur la pauvreté et les conditions de vie (SILC) ou encore de l’Observatoire bruxellois des loyers. Elles pâtissent toutes de faiblesses liées à la représentativité de l’échantillon.
Quand elles sont menées au niveau national ou européen, elles accordent une place trop limitée à notre Région et gomment de ce fait ses spécificités. Un échantillon trop restreint rend impossible les analyses fines, et ce même pour les enquêtes menées à l’échelle régionale.

Enfin, les personnes pauvres ne sont pas suffisamment représentées dans ces enquêtes, quand elles n’en sont pas totalement exclues. Par exemple, les sans-papiers et les sans-abris, qui n’apparaissent pas au Registre National, sont, de ce fait, aussi exclus de la plupart des enquêtes qui utilisent ce Registre comme porte d’entrée.

Mais d’autres motifs amènent les ménages précaires à se soustraire aux enquêtes : des entretiens longs ou répétés dans le temps, des enquêteurs anonymes, une démarche mal comprise et crainte…

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Des solutions existent pourtant, les sources de données sont souvent là, elles demandent à être (mieux) exploitées ou plus approfondies.

Mieux traiter les bases de données administratives

  • Exploiter les données des baux enregistrés pour affiner la connaissance des loyers et particulièrement de l’offre la plus récente. L’accessibilité financière du parc locatif se mesure, en effet, à partir des prix auxquels se louent les logements aujourd’hui. Parallèlement, imposer un bail-type, de manière à améliorer, notamment, la qualité des informations recensées et en permettre la standardisation. Cette connaissance sur les loyers pourrait servir à l’établissement d’une grille de loyers de références assez fine et soutenir la mise en place de la nouvelle allocation-loyer prévue par le Gouvernement régional ;
  • Mettre en relation les statistiques fiscales et les données de la Banque Carrefour de la sécurité sociale pour élargir la connaissance des revenus ;

Améliorer la qualité des résultats produits par les enquêtes en augmentant la taille et la représentativité des échantillons mobilisés

Par ailleurs, en ce qui concerne plus spécifiquement l’Observatoire des loyers, intégrer de nouvelles variables à l’enquête annuelle qui, combinés à d’autres, pourraient constituer des indicateurs de précarité pertinents : arriérés de loyers, dettes énergétiques, modalités de constitution de la garantie locative, risque d’expulsion… ;

Réaliser une enquête qualitative

Et ce,avec les ménages les plus précarisés, en s’appuyant sur l’expertise du réseau associatif, pour améliorer la connaissance des dynamiques de pauvreté et examiner la pertinence et l’impact des politiques publiques.

Nous, acteurs associatifs et académiques, appelons nos décideurs politiques à tout mettre en œuvre pour dépasser les faiblesses des données actuelles. Nous avons besoin de connaître le vrai visage du mal logement à Bruxelles, nous avons besoin de pouvoir objectiver les problèmes de logement à l’échelle globale de notre Région. C’est aussi une nécessité pour évaluer les politiques publiques et pour élaborer, le plus justement possible, les mesures d’aide au logement : aides diverses aux locataires et aux propriétaires, conditions d’accès aux logements publics,…
Une réaction politique positive à cet appel garantirait l’implication de nos décideurs et confirmerait que la lutte contre la pauvreté et la concrétisation du droit au logement font bien partie de leurs priorités.

Anne Bauwelinckx et Carole Dumont, pour le Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat (RBDH) et ses 50 associations membres, mars 2015.

Soutenu par :

AMA (Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri)
Nicolas Bernard (professeur de droit à l’Université Saint-Louis)
Brussels platform armoede
CBCS (Conseil bruxellois de coordination socio-politique)
Collectif Solidarité contre l’Exclusion
Eric Corijn (hoogleraar VUB)
Fédération BICO
Sarah De Laet (géographe, chercheuse, ULB – IGEAT)
Fédération des Services Sociaux
Fédération des maisons médicales et collectifs de santé francophone
Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté
François Ghesquière (sociologue, chercheur, ULB – METICES)
Front commun SDF
Pierre Lannoy (sociologue, chargé de cours, ULB – METICES)
Netwerk tegen armoede
Françoise Noël (sociologue, professeur émérite, ULB – METICES)
Observatoire belge des inégalités
Pour la solidarité, European think & do tank
Regio overleg thuislozenzorg Brussel
Réseau belge de lutte contre la pauvreté
Alice Romainville (géographe, chercheuse, ULB – IGEAT)
SMES-B (Santé mentale et exclusion sociale – Belgique)
STRADA (Centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri)
Mathieu Van Criekingen (géographe, professeur assistant, ULB – IGEAT)
Benjamin Wayens (géographe, codirecteur de l’Institut de recherches interdisciplinaires sur Bruxelles (IRIB) de l’Université Saint-Louis)
Daniel Zamora (sociologue, chercheur, ULB – GERME)

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