La Porte Verte – Snijboontje
Haricots verts, aide d’urgence, sens du travail social, …

Au Centre d’Aide Alimentaire de La Porte Verte, l’aide est volontairement centrée sur les plus précaires. 51 pour cent des personnes qui a reçu un colis alimentaire en 2018 ne bénéficiait d’aucun revenu ni d’aucune aide sociale. Les personnes sans-papiers sont désormais majoritaires. Ou de l’art de « faire lien » entre, d’un côté, une précarité de toutes les urgences, et de l’autre, un temps compressé dans un contexte de saturation des services d’aide.

Article paru dans le BIS n°177 (décembre 2019)

10h du matin

Le Snijboontje BIS, Centre d’aide alimentaire, s’ouvre sur un vaste couloir d’entrée. Ancien centre paroissial, le n°55 rue de Menin est aujourd’hui reconverti en lieu de dépôt de colis alimentaires. Mais pas que. « Le cœur de La Porte Verte, c’est son service social », explique Jean-Benoît Hoet, coordinateur du Centre d’Aide Alimentaire. Entre chaque colis, les personnes sont reçues par une assistante sociale pour gérer leur dossier de manière globale : la scolarisation des enfants, la santé familiale, les démarches administratives, la recherche de logement, etc. Autrement dit, donner à manger est un moyen pour accéder à des droits, stabiliser une situation. Un accompagnement social qui devient souvent périlleux face à une nette dégradation de l’accès aux droits sociaux.

Une accessibilité avec frontières

« Les personnes qui viennent ici vivent avec moins de six euros par jour », précise Jean-Benoît. « Nous donnons une impulsion pour pouvoir s’en sortir, mais très souvent, on ne suffit pas ! Un colis couvre une semaine pour un ménage, voire plus. Mais ils ne peuvent en bénéficier toutes les semaines, l’aide d’urgence donnant droit à six colis maximum sur une année (renouvelable pour une période de 5 ans maximum). Les familles sont donc obligées, entre les semaines sans colis, de trouver d’autres ressources pour pouvoir manger tous les jours », fait-il remarquer.

« L’aide alimentaire est loin d’être une solution en soi, elle vient plutôt dépanner à un moment particulier dans un parcours de vie ; elle permet de faire un peu d’économie pour éviter de s’endetter au moindre frais scolaire ou facture d’énergie ». Mais pas pour tous. « Face à la quantité de demandes, nous sommes forcés d’établir des critères [1] pour cibler les publics les plus précarisés », explique Samuel Haquin, coordinateur général de La Porte Verte. « L’accès aux colis se fait à partir d’une analyse des dépenses et ressources des personnes. Mais comment expliquer à quelqu’un qui vit dans la précarité qu’il a « trop » de revenus pour prétendre à un colis ? » …

On le comprend très vite, face à la quantité de demandes et à la diversité des formes de précarité, assurer une large accessibilité du service reste extrêmement difficile à tenir. La structure oscille entre critères d’octroi pour le dépannage alimentaire et gratuité des permanences sociales, ouvertes à tous, sans rendez-vous : « c’est compliqué à gérer quand la salle d’attente est remplie, mais le système de tickets, tant pour les colis que pour l’aide sociale, ne fonctionne pas … Des personnes sont là à 8h du matin pour avoir leur ticket, d’autres arrivent toujours trop tard ! ».

En période hivernale, « c’est juste la folie » … Les professionnels se questionnent alors beaucoup sur le sens de leur travail : « ne devient-on pas des distributeurs de tickets pour des colis alimentaires ? », « En quoi change-t-on la situation des personnes ? », « Quels sont nos leviers d’action si on a si peu de temps pour autant de personnes ? », « Comment être à l’écoute de toute une série de demandes implicites qui se cachent souvent derrière la demande explicite ? », … « Bien sûr, nous avons la possibilité de fixer un autre rendez-vous, mais quand les gens sentent que le travailleur social est pressé, ils ne s’ouvrent pas ! Si nous ne sommes pas disponibles, cela ne peut pas fonctionner ! », témoigne Samuel Haquin. Pour toutes ces raisons, La Porte Verte souhaite une évaluation permanente des critères d’octroi et de maintien de ses colis alimentaires, et plus largement, ouvrir une réflexion sur la notion d’urgence en travail social.

Récupérer un peu de fraîcheur

Après ces premiers éclairages sur le fonctionnement du travail, place à la visite des lieux. Dans le couloir d’entrée, on croise un habitué qui vient de réceptionner son colis, « allez, à la proxima ! J’ai tout emporté », salue-t-il, avec un sourire moqueur, son cabas à roulette à ses trousses. Dans l’espace de réception des colis et de stockage, on découvre un sage alignement de bacs bleus. « Chaque colis est préparé la veille, personnalisé en fonction de la composition familiale et des prescrits religieux : sans viande, pour une famille de quatre ou cinq personnes, avec ou sans enfant, … », explique Emmanuel, préposé à la confection des colis. « Chaque personne reçoit la date et une tranche horaire pour venir le réceptionner : par exemple, entre 9h30 et 11h30 ».

Autour de nous, les murs sont devenus alimentaires, des piles de réserves : pâtes, sucre, … Leur principale source d’approvisionnement : les produits FEAD (Fonds Européen d’Aide aux plus Démunis) distribués par la Banque Alimentaire de Bruxelles (BAB). « Mais ce ne sont que des produits secs, tout l’effort consiste à ajouter des produits frais », souligne Jean-Benoît Hoet. Pour les produits laitiers, les fruits et légumes, la boulangerie, … tous les jours, il y a la Bourse aux dons [2], une plateforme multisectorielle de redistribution d’invendus en ligne. Et ils viennent eux-mêmes livrer ! ». Calés entre les briques de lait, le café et l’huile d’olive, de belles salades vertes, une botte de rhubarbe, des champignons, … viennent confirmer son propos. « C’est selon les surplus de saison ! ».

Différentes conventions avec des grandes surfaces voisines permettent aussi d’aller récupérer des invendus, « mais c’est une source très variable, avec des horaires et des consignes stricts ». A cela s’ajoute encore les collectes, dans les écoles, les paroisses, … « Durant l’année, il y a des jours creux où les colis sont un peu pauvres, alors on ajoute certains produits. Par contre, on ne trouvera pas de vêtement ni de produits d’entretien, et rarement des produits de soin. Au total, ce sont entre 10 à 20 colis par jour qui sont distribués. Tout dépend des périodes et des jours de l’année. Ce qui représente 831 ménages, soit 2620 personnes aidées en 2018.

« Créatrice » de liens

Des ateliers cuisine ont été mis en place dans le cadre d’une recherche-action intitulée : « comment favoriser un accès durable à une alimentation de qualité pour tous ? » [3]. Mais ce n’est pas si évident de faire venir le public à ce type d’activités, pointe Samuel Haquin : « en théorie, c’est positif de pouvoir échanger et construire des solutions. Mais en pratique, on peut avoir plein de bonnes raisons pour ne pas participer ! ». Et pourtant, leur agent d’accueil d’origine libanaise, trilingue anglais, français, arabe, a relevé le défi de faire circuler l’information, de « faire lien ». « C’est une perle, tous les usagers de La Porte Verte la connaissent, elle circule dans les services, elle glisse de l’informel là où elle peut, elle développe des liens de confiance, dans le long terme », raconte le coordinateur. Au Centre d’Aide Alimentaire, elle a tout simplement proposé aux personnes qui venaient chercher leur colis, un temps d’échanges autour d’une tasse de café. « Quand elle propose ce genre d’espace, elle ne se montre pas sur-occupée, elle prend le temps de la rencontre », insiste-t-il. « Nous n’avons pas voulu installer un système d’inscription sur base de listes pour ce type de rencontre », poursuit Jean-Benoît, « ils le font déjà tout le temps, toute leur vie ! ». La proposition de départ de l’atelier cuisine s’est transformée au fil du temps : « au début, je préparais énormément », se souvient-il, « j’imprimais des recettes qui restaient finalement sur la table. Et puis, un jour, j’ai déposé le colis devant eux et leur ai demandé : « qu’est-ce qu’on fait avec ces aliments ? Comment préparer un repas à partir de ces ingrédients ? »…. L’une a cuisiné des boulettes de Kefta à partir des artichauts, d’autres ont préparé du riz turc, du riz pakistanais… Ont aussi été abordées les questions de tri des déchets, la lecture des dates de péremption, les étiquettes, etc.

Les limites du travail social

Malgré des résultats positifs, il est très compliqué d’envisager une suite : « ce sont des projets qui existent grâce à un soutien financier ponctuel », explique Samuel Haquin. Le frigo a pu par exemple être acheté grâce au soutien de la Fondation Roi Baudouin, une salle de psychomotricité a vu le jour grâce à un don Viva For Life, … « C’est pourtant un travail nécessaire, une porte d’entrée vers le lien social pour des hommes et des femmes qui restent enfermés à la maison. C’est retrouver le goût du faire ensemble avec, à la clé, un résultat immédiat dont ils peuvent bénéficier. Sinon, la plupart du temps, ils ne se parlent pas, ils attendent… », regrette Jean-Benoît Hoet. D’après Annick, assistante sociale, « certaines choses se racontent en atelier cuisine que nous n’entendons pas dans notre bureau ! C’est un peu comme au restaurant social, il y a une dimension collective entre les personnes qui s’installe au détour des conversations, des fêtes d’anniversaire, des activités (chorale, sorties au musée, au théâtre, à la mer, …).

Justement, il est 12h, Jean-Benoît propose d’aller jeter un œil au Snijboontje BIS, le restaurant social d’une quarantaine de couverts situé sur la place des Etangs Noirs, à Anderlecht. Au menu du jour : carbonades flamandes, frites, café, dessert. Tous les menus de la semaine sont affichés à l’avance, mais le cuisinier les adapte parfois, selon les surplus reçus pour les colis. Sous le menu affiché, les tasses à café blanches sont déjà prêtes pour le moment du sucré. Un des clients offre à un autre une enveloppe estampillée, il est ravi : « je suis collectionneur de timbres, il me fait là un beau cadeau », explique-t-il, ému. Tous les éléments indiquent combien le lieu est un rempart contre l’isolement social. Mais pour tout le reste. Comment fait-on ?, semble nous renvoyer La Porte Verte … « Etre travailleur social, c’est être acteur de changements. Aujourd’hui, quels changements propose-t-on ? », s’interroge le responsable. « Pour changer réellement la vie des personnes, c’est devenu compliqué face au manque de logement, de travail… Et puis, on se retrouve malgré nous dans le contrôle. Les personnes elles-mêmes viennent nous demander des preuves. On leur donne une attestation de cours de français, elles sont forcées d’envoyer deux lettres de motivation par mois, … ». La question du sens est posée. Même si en tant que travailleur social, on continue. On accompagne les personnes. « Au-delà du travail individuel, on tente de donner des réponses un peu autres, de créer d’autres formes de lien ».

Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl, juillet 2019

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